Le 16 mai 2011

Pays-Bas : La révolution véloculturelle

Delphine Naum

Depuis leur naissance jusqu'à la fin de leur vie, les Néerlandais font du vélo, sans se laisser dissuader par la météo. Perchés sur leur bécane, ils font leurs courses et  promènent leur chien.

Dans son livre intitulé Fiets : la place du vélo dans la culture néerlandaise, Arnaud Rousseaux présente une étude de terrain de ce que l'on peut considérer comme une réussite politique, urbaine et culturelle : l'importance considérable du vélo dans la société néerlandaise.

Arnaud Rousseaux, originaire de France, a passé une année à l'Université de Sherbrooke, en 2003, dans le cadre d'un échange interuniversitaire. C'est là qu'il rencontre sa copine d'origine hollandaise. De retour en Europe, il s'installe avec elle aux Pays-Bas où il est tout d'abord frappé, puis intrigué, par l'ampleur du phénomène du vélo.

Le vélo (fiets, dans la langue du pays) est littéralement tissé dans la trame de la vie quotidienne des habitants de ce pays. Les chiffres sont éloquents : on dénombre 16 millions de vélos pour une population de… 16 millions d'habitants! Le Néerlandais parcourt en moyenne 1019 km par an, dont une bonne part sur les quelque 20 000 km de pistes cyclables.

Formé d'abord en éducation physique, puis titulaire d'une maîtrise de recherche en ergonomie, Arnaud Rousseaux s'intéresse particulièrement au concept de mobilité et tente d'assouvir sa curiosité en s'attelant à la rédaction d'un ouvrage sur la question. «L'idée derrière ce livre était avant tout de partager mes connaissances, ensuite j'ai eu envie de faire évoluer la situation en France.»

C'est dans la ville de Groningue (désignée meilleure ville cycliste mondiale en 1991) qu'Arnaud Rousseaux traque le phénomène protéiforme du vélo. L'auteur, qui a pris des milliers de photos sans jamais cesser de pédaler, explique que sa démarche s'inspire de l'anthropologie visuelle. «La photo a la particularité de pouvoir fixer la complexité de l'information. Ainsi, il faut “lire” mes photos et non pas simplement les regarder.»

À vélo, du berceau au tombeau

Fiets nous permet de découvrir que, si le phénomène du vélo est généralisé aux Pays-Bas, il se décline en plusieurs sous-cultures qui marquent les différentes étapes de la vie.

D'abord portés par leurs parents, les enfants acquièrent leur autonomie de cycliste vers l'âge de 7-8 ans. Lorsqu'ils fréquentent l'école élémentaire, ils doivent d'ailleurs tous passer un examen de vélo afin de pouvoir s'y rendre sur leurs deux-roues. À l'adolescence, la bicyclette est synonyme d'indépendance et contribue à la cohésion des groupes d'amis. Au début de l'âge adulte, elle représente le véritable symbole de l'insouciance typique de l'étudiant détaché des nécessités matérielles : on se fait un véritable orgueil de posséder des vélos en mauvais état, rouillés, bruyants et rapiécés de façon artisanale. Ce qui ne les empêche pas pour autant de les surprotéger avec plusieurs cadenas, qui valent parfois plus que le prix de leur engin, le vol étant monnaie courante (900 000 vélos sont subtilisés chaque année aux Pays-Bas). Cette forme de bohème sur deux roues prend fin avec l'entrée dans la vie professionnelle, et il est alors de bon ton d'investir jusqu'à 1000 euros dans une bicyclette. Enfin, à l'âge de la vieillesse, le vélo se conjugue avec la lenteur, la conservation de l'autonomie et l'activité physique continue. Le tricycle devient une option intéressante pour les aînés à l'équilibre défaillant.

Quand culture et politique pédalent dans le même sens

Quand on l'interroge sur les raisons de cette révolution véloculturelle, Arnaud Rousseaux n'hésite pas à qualifier le phénomène de «presque magique». Plus prosaïquement, il explique que  l'omniprésence du vélo dans la culture néerlandaise est due d'une part à une volonté politique portée par des plans d'urbanisme conséquents et d'autre part à l'appropriation réelle du deux-roues par les Néerlandais.

Au début des années 1970, on a prévu la saturation imminente du réseau routier, le parc automobile allant croissant tout comme la densité de la population. «Il y a eu des mesures politiques visant à dissuader l'utilisation de la voiture en ville, notamment une taxe de luxe et une taxe sur le carburant, explique Arnaud Rousseaux. Cela s'est accompagné d'un développement conséquent des infrastructures destinées aux cyclistes. Et la population s'est complètement emparée de ce moyen de transport qu'est le vélo.»

C'est ainsi qu'aux Pays-Bas les villes ont été carrément pensées pour maintenir les voitures à l'extérieur du centre. L'aménagement urbain et les règles de circulation font des cyclistes les rois de la mobilité. «En ville, lorsqu'on se déplace en voiture, il faut compter quatre fois plus de temps qu'à vélo.» De quoi faire réfléchir les gouvernements des autres pays…

La santé du vélo au Québec?

Si on parle maintenant de la situation chez nous, on constate qu'au Québec le vélo est somme toute assez populaire. Dans le dernier exemplaire de L'état du vélo au Québec en 2005 (un portrait de la situation dressé tous les 5 ans par Vélo Québec), on peut lire que plus de 2,5 millions de cyclistes font du vélo une fois par semaine ou plus, et qu'ils pédalent en moyenne 785 km par année. Ainsi, le Québec compte, proportionnellement, près de trois fois plus de cyclistes assidus que les États-Unis… mais 50 % de moins que les Pays-Bas. Fait intéressant, 90 % des déplacements des cyclistes québécois s'effectuent sur des pistes cyclables et sur des routes à faible circulation automobile. Cela rend d'autant plus pertinents des projets comme celui de la politique du vélo de la ville de Montréal.

Celle-ci fait d'ailleurs preuve d'audace en proposant de doubler son réseau cyclable, dont 70 km praticables à l'année. La ville facilitera les déplacements des cyclistes en quintuplant le nombre de places de stationnement pour vélos, en mettant sur pied un service de location à bas prix en libre-service et en offrant en permanence un service de navettes fluviales entre Montréal et la Rive-Sud. Reste à savoir si la population sera au rendez-vous. Arnaud Rousseaux n'hésite pas à le répéter : la réussite du modèle néerlandais tient au mariage entre politique et culture.